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HistoiresInterview de Claire Bottalico, réalisatrice de "La Loi Sans Moi - Chapitre 1"
Il y a près d'un an nous avons fait la rencontre de Claire Bottalico, franco-canadienne, et passionnée du cinéma. Depuis, nous l’avons accompagnée à la production du pilote de sa nouvelle série de courts-métrages "La Loi Sans Moi", où elle a opéré en tant que scénariste et réalisatrice. Avant la sortie du court-métrage le 27 juin, nous vous proposons de revenir sur le processus de création, par le regard et par les mots de Claire.
- Publié le 15 Juin 2020
En quelques mots, comment te présenterais-tu ?
En ce temps de confinement on arrive tou·te·s un peu sans le vouloir à une remise en question totale. Pour ma part, je remarque que ce qui reste, ce sont les valeurs et les passions dans tous les sens du terme. Je dirais donc que je suis une femme féministe du cinéma.
Te souviens-tu de ta première expérience au cinéma ?
Oui, vaguement. C’était au Québec. Je devais avoir entre 10 et 12 ans. Mes parents m’ont inscrite à un stage d’été cinéma d’une semaine. On devait écrire des petites histoires et les tourner. On était une petite dizaine, certains jouaient, d’autres tenaient la caméra. Le professeur faisait ensuite le montage. J’étais assez timide dans ce groupe parce que tous les autres enfants étaient québécois et j’étais un peu en décalé avec mon accent français !
Qu'est-ce qui t'a donné envie de créer à ton tour ?
Au début j’étais surtout intéressée par le jeu. Je jouais au théâtre dans la troupe de mon école. Durant mes années lycée, j’ai eu la chance de faire la spécialité cinéma au bac. J’ai pu commencer à écrire, à réaliser et à jouer dans mes films.
En rentrant à l’université, j’ai essayé de continuer le théâtre mais j’ai rapidement compris que ce n’était pas fait pour moi. En revanche, j’étais toujours passionnée par le jeu parce que c’est ce qui me touche le plus dans un film, c’est la vérité d’un·e acteur·rice. En comprenant l’effet que les acteurs et actrices me faisaient, j’avais envie de procurer cette émotion chez les autres aussi. Je pense que c’est pour ça que les films que j’écris et que je réalise se concentrent beaucoup sur le social et les relations humaines.
Tu nous as dit avoir vécu au Canada. Qu'est-ce qui t'a marquée là bas ?
Le Québec m’a formée sous tous les angles. Je crois que j’ai beaucoup de chance d’avoir été formée là-bas parce qu’en sortant du lycée, je me croyais invincible. J’étais entourée de personnes que j’avais connues durant toute ma scolarité, ayant la même culture et la même éducation de français·e international·e.
En parallèle de mes études à l’université durant lesquelles je n’étais pas très heureuse, j’ai commencé à entreprendre mes propres projets. J’y ai fait la rencontre de Québécois·es plus âgé·e·s et plus expérimenté·e·s qui m’ont beaucoup soutenu·e·s. Tranquillement, grâce à ces personnes, j’ai compris qu’il y avait de nombreuses choses à apprendre dans ce milieu et que je n’étais pas au centre du monde. J’ai appris l’humilité. J’ai eu de la chance car je suis tombée sur des personnes bienveillantes qui m’ont fait descendre de mon nuage avec douceur mais sans me faire perdre espoir.
Je crois que c’était pour moi le meilleur endroit et le meilleur moment de commettre mes erreurs. J’en fais encore aujourd’hui bien sûr mais j’ai une sorte de première couche protectrice qui me permet de me relever plus facilement.
Comment as-tu fait la rencontre du collectif ?
En venant m’installer à nouveau en France après 13 ans de vie au Québec, je n’avais pas vraiment de contacts dans le milieu du cinéma. Je ne connaissais personne. J’ai donc écrit un statut sur Facebook dans un groupe de cinéma pour proposer mes services en tant qu’assistante à la réalisation car c’est un poste que j’occupe avec plaisir. Le collectif a répondu assez rapidement à mon annonce et nous avons commencé à discuter de projets.
Peux-tu nous parler des origines du projet ? A quel moment l’idée a-t-elle germé pour toi ?
Avec le collectif, on avait eu l’idée de participer à un concours de France Télévision qui avait comme consigne d’écrire un court métrage de 10 minutes sur le thème « Tous égaux ? ». On en a discuté, on a lancé nos idées et nos envies. J’étais dans le train et une idée m’est venue pendant le trajet. J’ai ensuite écrit le déroulement assez rapidement. Le principe était de mettre en scène un tribunal social, sous forme d’un réel tribunal où les condamné·e·s seraient jugé·e·s pour une chose sur laquelle ils/elles n’avaient aucun pouvoir. Par exemple, la couleur de peau, le handicap mental ou physique, la classe sociale ou l’orientation sexuelle.
Le thème « Tous égaux ? » renvoie assez facilement au social et parler d’injustice sociale m’anime profondément parce que c’est pour moi un énorme paradoxe en soi. Le point d’interrogation me paraissait central au moment de l’élaboration du projet. J’avais envie de poser la question aux spectateur·rice·s : « Est-ce que vous trouvez ça juste ? ».
Plus tard est venue l’idée d’une sorte de vengeance réalisée dans le film. Chaque personnage serait mis dans une situation d’injustice puis en sortirait gagnant de plusieurs manières différentes. Histoire de faire un Fuck à la majorité sociale masculine-blanche-hétéronormative dominante répondant à des critères de beauté physique créés par eux-mêmes et qui est souvent responsable de ces injustices.
C'est ton engagement et ton vécu qui t'ont amené vers l'idée de ce court-métrage, mais t'es-tu également entourée d’autres personnes concernées pour t’aider dans l’écriture ?
Je pense qu’il s’agit du vécu de beaucoup de personnes car je crois qu’on a tou·te·s vécu une injustice par rapport à une chose dont on n’était pas responsable. À plus ou moins grande échelle d’importance évidemment.
J’ai lu en effet pas mal de témoignages sur la question. Beaucoup de faits hallucinants. La loi Taubira adoptée en 2013 permet aux couples homosexuels de se marier et donc de pouvoir adopter un enfant en tant que couple. Aujourd’hui, il est déjà très long et difficile pour les couples hétérosexuels d’adopter mais pour les couples homosexuels c’est encore pire. Les conseils de famille qui étudient les dossiers sont encore très traditionnels et tous les pays n’acceptent pas de confier leurs enfants à des couples homosexuels. Pour ceux qui l’acceptent, les procédures prennent encore plus de temps et il s’agit souvent d’enfants plus âgés ou handicapés. En plus de tout cela, il y a des rendez-vous avec des psychologues qui te font comprendre qu’avoir deux mamans ou deux papas pour un·e enfant serait extrêmement déstabilisant pour lui ou elle. La façon dont sont traités les dossiers montre que l’égalité n’est pas encore là.
Lire ces témoignages donnent en effet des idées de contenu mais c’est surtout une façon de légitimer le sujet qu’on défend et de se rassurer en se disant que ce combat vaut vraiment la peine.
Au delà des témoignages, il me semble qu'il y a également un morceau qui vous a beaucoup accompagné lors de la création du court-métrage : “FUI EU” de Maria João Fura. On peut d'ailleurs l'entendre dans ce dernier. Que représente-t-il pour toi ?
J’ai découvert Maria lors d’un séjour de deux mois à Lisbonne. Elle donnait un concert lors de la toute première édition du festival féministe à Lisbonne. Événement assez marquant ! C’était dans une cave d’un vieux bâtiment en plein centre de Lisbonne, les gens fumaient et buvaient à l’intérieur. L’ambiance était très bienveillante, la musique envoûtante, on se croyait dans une autre époque. C’est un super souvenir. J’ai acheté son CD à la sortie car j’avais craqué sur «Fui Eu» en l’écoutant en live. Je m’étais dit que je la mettrais un jour dans un de mes films et voilà.
Maria a été très réceptive et enthousiaste quand je lui ai écrit pour lui parler du film. Elle est extrêmement généreuse et la collaboration s’est bien passée.
Qu’est-ce qui a décidé ton choix pour les acteurs et comment s’est passée la première rencontre ?
Pour le rôle de Pauline, joué par Cindy Almeida de Brito, je cherchais une femme forte et libre. Une femme drôle, sans complexe et enjouée. J’ai fait passer un casting pour ce rôle, où j’ai vu plusieurs personnes. Chacune apportait quelque chose de différent mais Cindy m’a charmée par sa belle personnalité et du fait qu’elle semblait avoir tout de suite compris ce que je cherchais.
Pour le rôle d’Ali, joué par Sofiane Francine, je cherchais un homme qui ne corresponde pas au stéréotype qu’on peut se faire d’un homosexuel. En écrivant le scénario, j’avais en tête un homme d’origine libanaise donc on a orienté un peu nos recherches en fonction de ça et nous sommes tombés sur Sofiane. Il a apporté une sagesse et une force au personnage qui me semblent tout à fait crédibles et qui s’éloignent des clichés.
Pour le rôle de l’Homme joué par Jeff Decaux, ça a été une évidence. J’ai reçu énormément de candidatures sur cinéastes.org. C’était un rôle qui me faisait un peu peur à expliquer à celui qui devait l’incarner. Je n’avais pas envie de tomber sur un acteur qui soit trop proche de ce que je dénonce par son personnage, c’est-à-dire un mec blanc hétéro-cinquantenaire super puissant qui refuse de se déconstruire. J’avais un bon pressentiment avec Jeff en le rencontrant la première fois mais tout de même une appréhension. Heureusement, il a tout de suite compris ce que je cherchais et on a vraiment bien accroché !
Pour toi c’était ta première expérience en temps que réalisatrice en France, qu'en retiens-tu ?
C’était un premier tournage en France en effet. Les choses ne se passent pas tout à fait comme à Montréal, qui a une façon plus anglo-saxonne de travailler et qui me correspond davantage. C’était tout de même une expérience à prendre et de laquelle j’ai appris. J’y ai rencontré des personnes qui me suivront encore et j’en suis ravie. C’était l’occasion de confirmer certaines relations comme celle avec Gauthier Ployette qui est le directeur artistique et qui est encore avec moi pour la suite. Nous travaillons bien ensemble. Je le suis sur ses projets et lui sur les miens. Je lui fais confiance et on partage beaucoup de choses.
Tu travailles sur la suite de ce court-métrage qui constitue le premier chapitre de "La Loi Sans Moi". En quelques mots, de quoi cela parlera-t-il ?
Le deuxième chapitre traitera du racisme envers les femmes noires dans le cadre des castings. Beaucoup d’injustices grouillent dans ce milieu. Je dénonce à la fois le sexisme et le racisme ordinaire avec une pointe d’humour.
On te souhaite en tout cas le meilleur pour la suite et que tu puisses trouver les ressources nécessaires pour porter ce beau projet dans les salles de festivals.
D'ici là, on se donne rendez-vous le 27 juin pour la mise en ligne du chapitre 1 !
Par Manon Bonheur